Edito 148 : Présence à distance
Article mis en ligne le 3 février 2022

par Gilles WAEHREN

En cette fin d’année, où les contraintes semblent se relâcher, nous nous réjouissons de revoir nos proches. Ces derniers mois nous ont fourni beaucoup d’occasions de ne pas se rencontrer. Les progrès des technologies de la communication nous ont certes permis de raccourcir certaines distances. La norme euclidienne a ainsi fait la place à d’autres fonctions de mesure, que ce soit celle des degrés de séparation (« je connais quelqu’un qui connaît cette personne ») ou celle de la bande passante (variable selon que l’on soit connecté au réseau fibré ou pas).
De même, la Régionale de Lorraine s’est réunie, par Internet, pendant près de dix-huit mois, avec quelques périodes de retrouvailles malgré tout. Ses adhérents n’ont cependant pas retrouvé l’essence de leur association : la convivialité. Les Journées Nationales de Bourges ou la Nuit du Jeu ont montré le besoin que nous avions besoin d’échangé physiquement. En plus de la présence de l’autre et de sa voix, ses attitudes, ses gestes participent au temps de la communication et du partage.
Bien sûr, les temps de trajet économisés (acquis pour la planète et pour notre équilibre), la possibilité de pouvoir gérer une réunion et sa famille à la fois, nous font percevoir le bon côté des visio-conférences. Elles permettent à ceux qui ne peuvent pas se déplacer d’être aussi présents. Mais pour en profiter vraiment, il faut que nous continuions de nous retrouver physiquement.
Nous avons découvert des moyens pour maîtriser les distances et donc maîtriser le temps. Pourtant, c’est ce même temps qui semble toujours nous manquer. Il nous manque trop souvent pour enseigner les mathématiques correctement. Il est encore insuffisant pour une formation de nos élèves qui soit digne de ce nom. Et il va maintenant falloir composer avec le temps requis par l’évaluation.
La politique d’évaluationnite remonte les cycles. Le baccalauréat comportant désormais 40 % de contrôle continu, le ministère a demandé aux chefs d’établissement des lycées de produire un Plan Local d’Évaluation, qui serait une charte de bonne conduite des enseignants évaluateurs, pour construire une note finale représentative. Le travail de rédaction de cette charte s’est effectué pendant deux demi-journées banalisées.
Qu’une instance nationale centralise des projets locaux peut sembler paradoxal. La création des grandes régions et de super recteurs d’académie posent la question de la nécessité de maintenir un super ministère, qui est la négation même des spécificités locales. Notre institution n’a pas encore pris la mesure de la contraction des distances, que tout le monde a perçu pendant la pandémie. Voilà pour le problème des distances.
Concernant le temps, ces réunions de préparation ont montré que nous étions mal préparés à la concertation. Le temps consacré aux réunions d’équipes et au cadrage même de ces réunions est insuffisant. Les deux demi-journées sont donc apparues comme une perte de temps par nombre d’enseignants, car elles ne leur ont servi à rien. Elles auraient pu conduire à une réflexion et des échanges sur les pratiques d’évaluation, mais la commande ne stipulait que de renseigner les pratiques de notation.
Partager et échanger nécessitent aussi un temps d’apprentissage, d’abord celui consacré à se connaître, puis celui nécessaire pour construire ensemble. Ce temps est difficile à mesurer et il est trop souvent inclus dans le défraiement forfaitaire qu’on appelle salaire. Ce n’est guère incitatif pour ceux qui souhaitent vraiment s’investir. C’est là que les laboratoires de mathématiques peuvent donner un cadre et une visibilité à ce travail d’équipe. C’est là que l’investissement dans une association comme l’APMEP devrait donner droit à de la reconnaissance plutôt que de la condescendance venant d’une bureaucratie qui pense que tout est quantifiable.

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