Edito 138 : Le niveau baisse « Le niveau baisse, je vous dis. Les élèves ne savent plus rien faire ! -*Ça fait même longtemps qu’il baisse. Il paraît même qu’il baisse depuis 1987. [1] -*Plus longtemps encore, je pense. Déjà en 1947, ils écrivaient dans le journal que le bac avait son niveau qui baisse. [2] -*Mais alors, c’est pire que ce que je pensais. Ces jeunes sont vraiment des bons à rien ! -*Bien pire encore, je vous dis. Déjà Socrate disait que les jeunes « bavardent au lieu de travailler ». [3] -*C’est la société, ça. Ils passent leurs journées sur les écrans. Ils ne savent même plus faire une addition sans une calculatrice. -*Ils ne savent même plus écrire. -*Oh, vous savez. Quand on lit ce qu’on lit et qu’on entend ce qu’on entend, on ferait bien de penser ce qu’on pense. -*C’est l’Internet et ses faiques niouzes À mon époque, on écoutait la radio et on n’entendait pas autant de bêtises. -*Vous ne croyez pas si bien dire. Moi je ne crois que ce que j’entends de mes propres oreilles. On peut si facilement trafiquer un texte avec les ordinateurs. Platon disait déjà que l’on ne pouvait pas faire confiance à ce qui est écrit. J’ai appris ça à l’école. [4] -*L’école, l’école… pour ce à quoi ça sert. Ça m’a pas empêché de travailler chez un expert-comptable. -*Et moi donc ! J’ai quand même eu mon bac en faisant des batailles navales en cours de maths. » Le document diffusé par la Depp (voir note 1) a provoqué plusieurs réactions. Le dialogue fictif ci-dessus est volontairement caricatural, mais peut-être a-t-on l’impression de l’avoir tous entendu. On pourra lire les commentaires de Jean-Paul Fischersur les résultats de cette étude, la réponse que lui fait Rémi Brissiaud et la synthèse de La Commission Premier degré-Collège de l’APMEP. L’explication de Jean-Paul Fischer a ceci d’intéressant qu’elle nous montre que la baisse est constatée sur des critères qui doivent être d’abord vus comme obsolètes : on teste les élèves de 2017 sur des contenus enseignés en 1987, alors que plusieurs réformes ont modifié l’enseignement des mathématiques en primaire depuis. 30 ans ! C’est trois fois l’âge d’un élève de CM2 : une éternité ! Jean-Paul Fischer suggère donc que les mutations des programmes ont pu avoir des conséquences sur cette évolution. Mais il ne va pas assez loin dans son argumentaire , selon Rémi Brissiaud, qui insiste sur les méfaits du comptage-numérotage auquel on commence seulement à substituer le comptage-dénombrement. Il pose aussi la question de l’apprentissage de la numération en maternelle, alors qu’il démarrait seulement à la fin du premier trimestre de CP en 1987. Enfin, le texte de la commission de l’APMEP nous rappelle que les exigences en calcul ne peuvent plus être les mêmes quand tous nos élèves ont un ordinateur dans leur poche (leur smartphone). Loin de moi l’idée de s’en contenter pour négliger l’enseignement du calcul. Vous avez sûrement déjà fait cette expérience du calcul dont le résultat est obtenu plus rapidement qu’en sortant la calculatrice du sac. Je pense que le calcul mental a encore sa place : il n’est pas besoin d’un marteau pour enfoncer une punaise (et encore, ça dépend du support) ; il n’est pas raisonnable d’utiliser la calculatrice pour effectuer . Le problème est surtout de savoir pourquoi l’élève le fait : il n’est pas sûr de lui ou le calcul fractionnaire est-il trop compliqué ? Peut-être que ce calcul n’a pas reçu de sens. Il arrive alors d’être obligé de le détailler en écrivant (ce qui permet de rappeler certaines règles algébriques ), mais il est préférable de commencer par des parts de gâteau. Par contre, je me demande s’il est nécessaire qu’un élève sache réduire sans se tromper. Un logiciel de calcul formel y parviendra tout aussi bien. Bien entendu, l’élève qui maîtrise ce calcul peut être à l’aise avec d’autres opérations sur les fractions. Mais celui qui n’y parvient ou qui doit recommencer est-il pour autant incapable de réussir en mathématiques ? Il sera probablement plus difficile, pour logiciel de calcul formel, de lire, comprendre et modéliser le problème qui fournira des expressions comme celle donnée ci-avant. Gardons-nous de la facilité des tâches automatisées : le travail à la chaîne est de plus en plus attribué à des machines dans l’industrie. Il est préférable d’inscrire les automatismes dans des situations mathématiques consistantes. Certaines erreurs ont sûrement dû être commises dans l’histoire de la conception des programmes de mathématiques. Le mieux est de les corriger au plus vite, mais l’institution choisit souvent d’attendre une dizaine d’années pour les changer ; parfois sans les avoir vraiment évalués. Ces changements correspondaient-ils à un nivellement par le bas ? C’est l’impression que l’on pourrait avoir en observant les nouveaux textes pour la classe de Première, qui marquent une volonté d’accroître la difficulté pour rattraper un retard qui aurait été accumulé pendant les deux dernières réformes. Je pense qu’au moment où j’ai passé le baccalauréat (début des années 90), j’étais sûrement moins bon en théorie des espaces vectoriels que les candidats de la période des « Maths modernes ». On peut se demander quelles sont les jauges et ce qu’elles mesurent quand on dit que le niveau baisse. En 30 ans, les compétences des élèves ont changé et ils excellent maintenant dans des domaines qui ont gagné en importance dans le monde actuel : la communication, la maîtrise de certains outils numériques… Ils ne demandent souvent qu’à comprendre ce qui les entoure et la curiosité mérite sûrement plus d’être entretenue qu’une expertise calculatoire. La beauté et l’intérêt des mathématiques ne résident pas seulement dans certaines formules ésotériques.
Edito 138 : Le niveau baisse
Article mis en ligne le 7 septembre 2019
dernière modification le 29 septembre 2020
par Gilles WAEHREN
