Editorial du Petit Vert n°135
Article mis en ligne le 21 août 2018
dernière modification le 29 septembre 2020

par Gilles WAEHREN

Pourquoi faire du Python ?

« Je n’imaginais pas que le langage informatique Python connaîtrait un tel succès » (Guido van Rossum, créateur du langage Python) Le Monde 25/07/2018.

Les programmes de mathématiques du Lycée ont imposé ce langage depuis la rentrée 2017. Des formations se mettent en place pour permettre aux collègues qui le découvrent, de le maîtriser. Une fois encore, cela s’accompagnera d’une dose non négligeable d’autoformation. Cette part de travail me semble nécessaire quand on veut acquérir de nouvelles compétences en informatique ; cependant, elle est toujours sous-estimée par les apprenants (« Il ne faut pas que cela me prenne trop de temps. ») et par les formateurs (« Vous devriez y arriver rapidement. »). Pourtant, quand une formation informatique est terminée, tout le monde s’estime compétent. Mais, c’est un autre débat. Quoique.
Est-ce le rôle du professeur de mathématiques d’enseigner l’informatique, plus précisément un langage informatique ? Ma réponse est plutôt non. Assurant depuis plusieurs années l’enseignement de la spécialité I.S.N., je pèse mes mots. Peut-on continuer l’enseignement des mathématiques sans apprendre à nos élèves à gérer la puissance de calcul d’un ordinateur ? Cela me semble difficile aussi. Je n’ai pas cherché à savoir si un quelconque bilan de l’usage de la calculatrice avait été fait depuis son expansion (début des années 1980 ?). J’ai parfois l’impression que ce n’est pas une grande réussite. L’apparente facilité d’utilisation des outils numériques a trompé leurs plus fervents promoteurs. Il semblerait que l’on ait trop souvent voulu répondre à la question « Comment utiliser cet outil pour cette tâche ? », alors qu’il aurait fallu se demander « Pourquoi le faire ? ». Que nos lycéens ne prennent leur calculatrice que pour exécuter un calcul semble assez révélateur. Que l’on considère, en section technologique, que donner un tableau de variations à l’aide d’un grapheur n’est pas recevable, nous interroge aussi.
Dire que l’ordinateur est incontournable n’est pas non plus une façon de régler nos problèmes au quotidien. Certaines tâches se seraient même inutilement complexifiées depuis leur informatisation (je pense notamment au dossier « Sortie » que j’ai dû remplir cette année). Il serait intéressant de connaître les méthodes employées lors de l’informatisation de ces tâches : sont-elles comparables à celles enseignées pour l’écriture d’un programme ? La réalisation de tels projets informatiques requiert, d’ailleurs, des compétences communes aux mathématiques dans le cadre de la résolution d’un problème : 1) prendre connaissance des données du problème, 2) proposer une démarche de résolution, 3) effectuer cette démarche, 4) vérifier que le résultat obtenu répond au problème (et même convient aux autres personnes qui se sont posées ce problème !!) 5) recommencer la méthode si le point 4) est invalidé (surtout !!). L’enseignement de bonnes méthodes d’usage de l’informatique est encore timide et mérite toute notre attention pour éviter les situations inextricables que l’on connaît déjà : plan numérique déconcentré et déconcerté (les lycées 4.0), législation numérique inefficace et liberticide (interdiction de l’usage des smartphones au Collège).
 Je pense que l’on peut enseigner un usage raisonné des outils numériques, et cet enseignement ne peut se faire sans apprendre à programmer. Sinon, ce serait vouloir enseigner lecture et écriture sans vouloir enseigner la grammaire ou l’orthographe. C’est là qu’on en vient au rôle du professeur de mathématiques dans l’enseignement du langage Python. A priori, ce n’est pas à lui d’expliquer à ses élèves comment construire une phrase en français (même si certains devoirs deviennent illisibles à force d’incorrection) donc ce n’est pas non plus à lui d’expliquer comment écrire un programme informatique. Demanderait-on à un professeur de Sciences Physiques de rappeler les règles de priorité calculatoire ? Et pourtant. Beaucoup d’entre nous s’efforcent d’aider l’élève dans sa maîtrise de la langue pour améliorer l’expression mathématique : la finesse des raisonnements ne peut se passer de formulations précises et rigoureuses. Donc, le professeur de mathématiques est aussi, un peu, professeur de français ; ce qui est d’ailleurs le cas dans l’enseignement primaire. Le professeur de Sciences Physiques est aussi un peu professeur de mathématiques. Nos missions ne peuvent se cantonner au rôle que nous avons tous imaginé – même si nous n’avions pas forcément tous le même rêve - quand nous sommes entrés dans la fonction. Toutefois, la plupart d’entre nous ne sommes pas formés à assurer la totalité du cours d’informatique requis par les attendus du programme. Un enseignement d’informatique, dans le secondaire, portant cette étiquette, assuré par un professeur dont c’est le diplôme universitaire, s’impose. Partager les tâches entre la technologie et les mathématiques, comme c’est fait au Collège, n’est déjà pas évident ; cela devient carrément ingérable au Lycée. Nos élèves ne méritent pas un enseignement tronqué de l’informatique, la science informatique non plus !

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